Des rares échecs commerciaux de Nintendo, le Virtual Boy est sans conteste le plus retentissant. L'insuccès de la Wii U passerait presque pour une réussite à côté de ce déboire. Un tel raté pour une entreprise dont on ne manque pas de vanter les avancées dans la sphère vidéoludique n'a pas manqué de faire parler de lui.
Pourtant, si l'échec est bien connu des rétrogamers aguerris, la machine en elle-même, son histoire, ses caractéristiques et ses jeux restent aujourd'hui encore échappent bien souvent à la connaissance de la plupart des joueurs. L'occasion pour cet article de s'y pencher pour y remédier…
Petite note avant de commencer : gardez bien en tête qu'un écran tel que celui de votre ordinateur ne peut aucunement proposer de rendu convaincant des spécificités techniques de la machine. Ne tombez donc pas, comme beaucoup l'ont déjà fait, dans l'écueil de juger le Virtual Boy pour ce qu'un émulateur vous en laisse entrevoir. Jouer sur cette console est une expérience ne pouvant être convenablement retranscrite que sur celle-ci. Profitez donc des nombreuses démonstrations en convention pour vous faire une idée !
L'histoire du Virtual Boy, c'est aussi une partie de celle de l'illustre Gunpei Yokoi, créateur notamment de la cultissime Game Boy ainsi que des iconiques Game & Watch.
En effet, au début des années 1990, l'inventeur ne se sent plus vraiment à sa place chez Nintendo. Alors qu'il s'agissait initialement de repenser une industrie en crise par l'originalité et la créativité, Big N, comme Sega, son principal rival de l'époque, s'oriente dès le début des années 1990 dans une course effrénée à la puissance, avec sa Super Nintendo puis son projet d'Ultra 64.
Il est cependant impensable pour Yokoi de quitter comme un voleur l'entreprise qui lui a permis de s'ériger en monstre sacré de l'industrie vidéoludique.
Il projette donc d'offrir à Nintendo un dernier succès avant de faire ses adieux à la firme nippone. Ce projet, vous l'aurez compris, est le Virtual Boy.
L'inventeur pense immédiatement pour sa machine à une technologie d'affichage d'images en profondeur qui lui avait tapé dans l'œil quelques mois auparavant et dont Nintendo s'était procuré l'exclusivité. Son idée : proposer une fois encore une nouvelle manière de jouer. Après avoir révolutionner le jeu portable – déjà développé par Milton Bradley et sa Microvision en 1989 -, Yokoi entend bien, avec cette curiosité, promouvoir la réalité virtuelle – également initiée par MB pour son Vectrex.
Cependant, si la conception de la machine ne pose aucun souci de taille, si ce n'est quelques contraintes techniques dont il sera question plus bas, la branche markéting de Nintendo a du mal à se positionner.
Si Yokoi souhaite proposer à la vente sa machine comme une sorte de gadget proposant une expérience atypique, les cadres de commerciaux de Big N ambitionnent eux d'en faire le digne successeur de la Game Boy.
Cette volonté, fortement critiquée par le créateur des Game & Watch, s'observe jusque dans le nom de la machine au « Boy » si caractéristique.
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La suite, on la connaît : la machine passa complètement inaperçue, les regards étant en 1995 de toute manière déjà tournés vers Sony et sa PlayStation sortie une année auparavant. Nintendo arrêta la production du Virtual Boy seulement six mois après sa commercialisation, totalisant seulement 780 000 ventes, avant même qu'elle ne soit proposée à la vente sur le sol européen, en faisant par chez nous une véritable petite pièce de collection.
Yokoi fut le premier déçu par cet échec, le premier rencontré par Big N depuis son incursion sur le marché du jeu vidéo et à ce jour le plus retentissant. Il s'attaqua particulier au pôle markéting de l'entreprise, n'ayant pas su comprendre l'idée sous-jacente à sa création et ne lui laissant pas suffisamment de temps pour développer des jeux tirant pleinement profit de ses caractéristiques intrinsèques. Il imputa aussi une partie de la responsabilité de cet insuccès aux éditeurs, n'ayant selon lui pas su proposer des expériences de jeu permettant de promouvoir le caractère unique de son invention.
Si les erreurs markéting ont incontestablement joué un rôle dans l'échec du Virtual Boy, il convient également de s'intéresser aux caractéristiques techniques de la console pour en comprendre la complexité.
Pour permettre la réalité virtuelle qui constitue toute la promesse de la machine, un processus assez simple et pourtant intéressant est utilisé. Ce sont deux et non pas un écrans qui se trouvent dans le visiocasque, en très léger décalage et avec un miroir tournant devant eux, permettant l'effet de profondeur et d'immersion. Un tel dispositif induit cependant deux points noirs.
Tout d'abord, pour qu'un tel système fonctionne de manière efficace sans pour autant que la console n'en vienne à coûter le prix d'une Neo Geo, le choix d'un affichage monochromatique fut fait. Mais pour que l'image reste visible dans le casque, ce ne furent pas des teintes de gris mais de rouge qui furent choisis. Cette décision fut particulièrement critiquée, de telles couleurs étant peu lisibles et désagréables en jeu. Couplée à une puissance intéressante mais bien inférieure à celle de la Saturn ou de la PlayStation déjà sur le marché, la console n'attira que peu les regards.
Le plus important reste cependant le fait que le système de miroirs rotatifs émettait des ondes générant d'importants maux de tête après quelques minutes de jeu seulement.
Pour les atténuer, le dispositif fut inséré dans une sorte de boîtier en métal. Toutefois, celui-ci alourdit considérablement le poids du casque. Ainsi, ce dernier ne pouvait être directement disposé sur la tête à l'aide d'une sangle comme c'était initialement prévu et comme c'est le cas pour les casques modernes de ce type.
Fut donc fait le choix de le disposer sur un trépied, pour un rendu très peu pratique et pas ergonomique pour un sou. Cette partie de la console, la rendant par ailleurs fragile et bancale, fut l'un des principaux points de moquerie de la console, que les publicités tentèrent de justifier comme elles pouvaient mais qui finit par participer à l'échec de la console.
Il est amusant de noter qu'à la même époque, Sega tentait également de son côté de développer un tel dispositif, pour notamment en faire un énième périphérique pour son iconique MegaDrive.
Les recherches furent cependant stoppées dès lors que le problème des ondes se posa. On retrouve néanmoins une partie du travail effectué sur ce projet dans le Sega VR, casque de réalité virtuelle utilisé sur certaines bornes d'arcade de la firme au hérisson.
Autre point souvent oublié et pourtant important : la manette. Celle du Virtual Boy a été saluée par les joueurs pour son ergonomie. Malgré le fait que les piles de la console y soient directement insérées, l'alourdissant quelque peu, son relief et la disposition symétrique de ses touches permettant aux gauchers de ne pas avoir à se conformer aux standards des droitiers font d'elle l'un des points positifs de la machine.
Il ne faut pas oublier qu'une console de jeu, c'est avant tout une ludothèque. Et si certaines machines furent des échecs de par leur catalogue de jeu maigre et décevant, il semblerait que cela ne soit pas le cas pour le Virtual Boy.
Si seulement 22 jeux eurent le temps de sortir sur ce support – dont certains seulement au Japon et d'autres en Amérique du Nord -, Nintendo avait réussi à réunir de nombreux éditeurs de renom tout en fournissant des jeux made by Big N d'une grande qualité.
Pour les productions maisons, ce ne fut pas Mario mais son double maléfique Wario qui fut choisi comme ambassadeur du jeu de plateformes sur la machine. Jouant intelligemment sur deux plans comme le fera plusieurs années plus tard Kirby Triple Deluxe, cet épisode de la série Wario Land est le digne héritier des opus Game Boy, constituant sans nul doute le meilleur titre de la plateforme.
Mario eu quant à lui droit à un reboot du classique de l'arcade Mario Bros.. Avec Mario Clash, dans lequel ce n'est plus seulement la gravité mais aussi la profondeur qui est utile à l'élimination des différents ennemis. Côté sport, Mario Tennis, bien que classique dans sa formule, offre une simulation saisissante tirant pleinement profit des spécificités de la console. Un autre essai dans ce domaine eu lieu avec Nester's Funky Bowling, mais avec son gameplay assez mou et son manque d'originalité, le titre ne marqua pas les esprits.
Avant l'échec officiel de la console, les éditeurs tiers furent également au rendez-vous. On retrouve un grand nombre de noms connus parmi lequel Bandai, Kemco, Taito ou encore Hudson Soft. C'est ainsi que le Virtual Boy eu droit à un épisode adapté de l'arcade de la célèbre série Gundam, un reboot audacieux de Space Invaders ou même V-Tetris, revisite originale en trois dimensions du jeu qui avait entre autres fait les beaux jours de la Game Boy.
Enfin, il faut noter que ne s'attendant pas à un échec si rapide et d'une telle envergure, les différents éditeurs mais aussi et surtout Nintendo avaient de nombreux projets pour la machine. Les informations à ce sujet sont toujours à prendre avec précaution, mais peuvent notamment être évoqués un opus de la série Mario Kart censé être une suite directe au jeu Super Nintendo, un portage de l'iconique Worms ou encore Donkey Kong Country 2, dont la sortie des versions SNES et Virtual Boy était initialement prévue en simultané.
Il y a fort à parier que si les choix markéting de Big N avaient été différents, si la machine de Yokoi avait été comprise et commercialisée pour ce qu'elle était et non ce que certains voulaient qu'elles soient, le Virtual Boy pourrait aujourd'hui occuper une place bien différente dans la mémoire de nombreux joueurs. Mais la Playhistoire est ainsi et nul ne la changera.
Il ne faut pas non plus négliger l'apport du Virtual Boy à la sphère vidéoludique. Il fut en effet l'un des plus grands apports au marché des casques de réalité virtuelle, initié une décennie auparavant par le 3D Imager du Vectrex et dont découlent les dispositifs actuels de réalité virtuelle, faisant désormais partie intégrante du jeu vidéo. Certains diront que la firme japonaise était trop en avance sur son temps…
Pour Yokoi, l'histoire ne se termine pas mal, puisqu'il offre finalement à son entreprise le succès qu'il espérait avec la Game Boy Pocket, variante miniaturisée de son iconique console portable qui s'écoulera à plusieurs dizaines de millions d'exemplaires. Il quittera ensuite Nintendo pour se consacrer à sa propre entreprise, qui collaborera notamment avec Bandai, donnant naissance à la méconnue et pourtant géniale Wonderswan.
Enfin, et c'est là l'un des points centraux et pourtant souvent oubliés dans l'histoire post-commercialisation de cette console atypique, Nintendo n'a jamais essayé de cacher cet échec. Le plus récent exemple en est le Virtuel Boo de Luigi's Mansion 3, gadget parodiant allègrement et tournant en dérision la machine.
Si de par ses caractéristiques atypiques, il est probable que les jeux sortis sur ce support ne seront jamais plus mis en lumière d'une quelconque manière que ce soit, il est certain que Nintendo n'oubliera pas de si tôt cette tentative infructueuse et pourtant enrichissante. Une belle leçon qui nous rappelle que nous pouvons toujours apprendre des erreurs du passé…
A propos de l'auteur Poirot
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